Nous ne mesurons pas encore pleinement les besoins en énergie de cette technologie. » Cette mise en garde sur l’intelligence artificielle (IA) n’est pas proférée par un militant écologiste mais par une star du secteur, le fondateur d’OpenAI, Sam Altman. Tenu le 16 janvier en marge du sommet de Davos, en Suisse, le propos du père du robot conversationnel ChatGPT n’est pas isolé.
L’électricité consommée par les centres de données numériques devrait doubler d’ici à 2026, principalement en raison de l’essor de l’IA et des cryptomonnaies, selon un rapport publié le 24 janvier par l’Agence internationale de l’énergie. Ce besoin pourrait passer de 460 TWh en 2022, soit 2 % de la demande mondiale (dont 25 % pour les cryptomonnaies), à 1 050 TWh, soit un bond équivalent à la consommation d’un pays supplémentaire, de l’ordre de celle de l’Allemagne. Les centres de données américains pourraient tripler leur consommation d’ici à 2030, à 390 TWh, selon le cabinet Boston Consulting Group, cité par Bloomberg.
Un fournisseur de centre de données qui doublait sa consommation électrique tous les cinq ans pourrait bientôt la doubler tous les ans, avec l’arrivée progressive des supercalculateurs abritant des cartes graphiques très puissantes, destinées à l’entraînement ou aux requêtes d’utilisateurs des modèles d’IA et services comme ChatGPT, explique un cadre du secteur. Une armoire de supercalculateurs consommerait environ cinq fois plus qu’un serveur normal. Encore très minoritaires, ces cartes spécialisées font l’objet d’une course : Meta (Facebook, Instagram) prévoit de posséder 350 000 cartes dernier cri du leader Nvidia d’ici à fin 2024.
L’explosion de la demande d’électricité liée à l’IA a déjà des conséquences locales : aux Etats-Unis, elle génère des tensions sur les nouveaux projets de centres de données dans la « Data Center Alley » du nord de la Virginie. Dans la région de Kansas
City, elle a poussé un fournisseur d’énergie à repousser la date de fermeture d’une centrale à charbon, raconte Bloomberg.
En France, où l’électricité nucléaire est classée comme décarbonée, le conseil municipal de Marseille a, fin octobre, voté une délibération sur la place des centres de données, alors que l’élu écologiste Sébastien Barles a appelé à un « moratoire ». Marseille compte cinq centres et onze projets, seize câbles sous-marins de trafic Internet étant raccordés au port, rappelait, fin 2023, Le Monde. Autres plaques tournantes du réseau, Amsterdam, Londres ou Dublin ont aussi suscité des débats autour de moratoires sur les nouveaux centres. En France, des délestages volontaires en cas de pic de consommation local sont déjà prévus.
Un pari dangereux
Jusqu’ici, les géants du numérique et des centres de données ont mis en avant leurs très grands progrès en efficacité énergétique : à électricité constante, la capacité de calcul a explosé. Pour parer aux reproches sur l’émission de CO2, ils acquièrent désormais l’équivalent de leur consommation en énergies renouvelables. Mais la difficulté à créer assez de capacités renouvelables pour fournir la demande et l’explosion prévue de l’électrification liée à la voiture ou à la réindustrialisation risquent de mener à une impasse. « Il n’y a pas moyen d’y arriver sans une avancée scientifique », a dit M. Altman. « C’est ce qui nous motive à investir encore davantage dans la fusion nucléaire », a ajouté l’actionnaire d’une start-up du secteur, Helion Energy.
Pour d’autres, miser sur l’apparition d’une telle électricité illimitée et décarbonée est un pari dangereux et une fuite en avant. Voire une ironie cruelle, à l’heure ou des apôtres de l’IA clament qu’elle peut « sauver le climat ». « Nous ne pouvons pas générer plus d’énergie par magie. Il faut arrêter de mettre de l’IA générative partout et réduire sa consommation, immédiatement », a tweeté Sasha Luccioni, de la start-up d’IA Hugging Face. L’urgence serait de créer des modèles d’IA plus petits et plus adaptés aux besoins, voire de limiter les usages inutiles. Une note d’espoir paradoxale : les géants du numérique pourraient suivre le mouvement, car la
consommation d’électricité de l’IA a un corollaire, un coût encore exorbitant qui menace la rentabilité de cette technologie.
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